70/20/10 : un modèle pour mieux comprendre la formation
Si apprendre est essentiel, de nombreux modèles existent pour tenter de formaliser la méthode d’apprentissage idéale. Parmi eux, le modèle 70/20/10 occupe l’esprit de nombreux formateurs depuis plusieurs années. Retour critique sur ce modèle fondateur.
Petit rappel des faits
Que désigne le modèle 70/20/10 ? Dans les grandes lignes, il est une tentative de rendre cohérente et intelligible l’articulation entre l’apprentissage formel (temps de formation effectif et concret) avec l’apprentissage informel (temps où l’apprenant se forme, par la pratique, sans être en formation). Dans le détail, ce modèle énonce que le temps d’apprentissage est découpé comme suit : 10% de l’apprentissage se déroule lors de formations formelles et traditionnelles (qu’elle soit effectuée en « présentiel » ou en « distanciel »), 20% se construit grâce au fait d’échanger avec son entourage et ses collègues, et enfin, 70%, soit l’extrême majorité de l’apprentissage, grâce à la pratique et l’expérience.
Ce modèle possède le mérite de rendre tangible le fait que la formation est davantage un état d’esprit qu’un pré carré cloisonné. Il explique en filigrane que ce n’est pas tant le fait de suivre une formation qui fait progresser l’individu, mais bien de se confronter tous les jours au savoir et, surtout, de le mettre en application.
Un modèle éculé ?
Ce modèle général a servi de boussole à de nombreux managers lors de ces dernières années. Or, cette façon de penser est aujourd’hui assez unanimement remise en question. Parmi les premières causes de cette « défiance » : les fondements scientifiques du modèle. Celui-ci est en effet issu d’une enquête, réalisée au milieu des années 90 par Michael Lombardo, Morgan Mc Call et Robert Eichinger (chercheurs à Princeton) auprès de 180 managers. Il en faudrait moins que ça pour contester la fiabilité des chiffres obtenus… De la même façon, de nombreux spécialistes s’accordent à dire que ce modèle instaure une norme figée qui ne rend pas bien compte de la complexité de l’acte d’apprentissage. « Si le modèle est utile, les chiffres en eux-mêmes ne signifient pas grand-chose » expliquait Célia Poulet, chef de projet R&D chez Formetris, lors du congrès Learning Talent and Development 2016. Mais faut-il pour autant jeter ce modèle aux oubliettes ?
Une structure essentielle pour comprendre l’apprentissage
C’est en prenant un peu de hauteur vis-à-vis des chiffres que le modèle 70/20/10 retrouve tout son intérêt. Notamment lorsque l’on se focalise sur les 10% du temps de formation « formelle » nécessaires pour apprendre. Un chiffre aussi minoritaire ne serait-il pas la manifestation de la moindre importance de l’action de formation « pure » et directe ? Selon Célia Poulet, c’est tout le contraire : « Une action de formation ne s’arrête pas lorsque l’on quitte la pièce ! En vérité, pour une heure de formation, vous avez quatre heures de formations « informelles » qui sont naturellement induites. » En résumé, ce sont bien les 10% d’actions de formation qui, bien que minoritaires, rendent possible tout le reste de l’apprentissage. « Les 10% instaurent du nouveau dans le quotidien, et vont décupler l’envie et la disponibilité pour apprendre » conclue Célia Poulet. L’idée générale pourrait être comparée à celle d’une graine et de la fleur qu’elle engendre. Difficile de nier que la graine, de par sa taille, ne représente qu’une infime partie du total de la fleur qui sortira de terre. Mais c’est bel et bien grâce à son existence que l’éclosion est possible. Le socle de la formation formelle est donc vital, tout comme le sont les 90% restants, lorsque l’apprenant met en action le savoir acquis et échange avec son entourage.
L’importance de la culture de la formation
En guise de conclusion, explorons un exemple simple : il apparaît bien difficile d’apprendre à conduire par la seule théorie. Il est incontestable de dire que l’apprentissage de la conduite est rendu possible par la pratique, et qu’il s’agit là d’un incontournable, qui occupera la majeure partie du temps du conducteur en herbe. Mais, de la même façon, qui peut nier que cet apprentissage pratique est nécessairement conditionné par l’apprentissage de règles élémentaires et « théoriques » comprenant un panel de domaines larges tels que le code de la route, les bases de la mécanique, le fonctionnement d’un habitacle, et même le savoir-vivre afin de cohabiter en harmonie avec les autres conducteurs ? Nous avons ici la preuve de la viabilité théorique du modèle 70/20/10 : la pratique est essentielle, mais l’apprentissage formel, même s’il ne dure pas aussi longtemps, l’est tout autant. Cette réflexion est signifiante lorsque l’on revient à l’échelle de l’entreprise. L’articulation et la complémentarité des différentes formes d’apprentissage permet d’atteindre ses objectifs. Et – bonne nouvelle – les pistes de diversification de la formation « théorique » n’ont jamais été aussi variées : mobile-learning, blended, e-learning ou encore gamification. Finalement, la valeur principale à développer en entreprise est celle, plus générale, d’une culture de la formation dans laquelle pourront évoluer les apprenants. Une mentalité proactive vis-à-vis de la formation à l’échelle de l’entreprise entière permettra de créer un environnement propice au progrès de l’ensemble des collaborateurs. Au-delà de tout modèle, il s’agit là d’un fait clairement avéré.
14/10/16 à 12:04